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1.  Le cadre général du contentieux (CAA Bordeaux, 6 nov. 2018, Sarl Airel, n° 16BX00160). Il y a d’abord lieu de rappeler, qu’aux termes de la directive n° 2014/24/UE, les acheteurs publics doivent « mieux utiliser l’instrument des marchés publics au titre d’objectifs sociétaux communs, parmi lesquels les enjeux sociaux et d’emploi. Les achats publics ont désormais pour objet d’orienter l’action des opérateurs économiques dans le champ social ».

Cette prise en compte d’exigences sociales se manifeste, non seulement au stade de l’appréciation des candidatures, mais également dans le cadre de l’exécution du marché public. A cet égard, la directive 2014/24/UE enrichit des possibilités offertes à l’acheteur public de préciser des conditions sociales d’exécution d’un marché, au travers de clauses spécifiques. Ainsi, les clauses sociales sont conçues comme une condition de recevabilité des offres.

Et, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

Il appartient au juge saisi de telles conclusions, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou au droit du cocontractant, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.

C’est dans ce cadre contentieux que s’inscrit le contrôle de la légalité des clauses d’insertion sociale.

2.  Appréciation de la régularité du critère social : illégalité (CE, 25 mai 2018, n° 417 580). L’acheteur public dispose de divers outils pour prendre en considération les aspects sociaux dans les marchés publics. Ainsi, aux termes de l’article 36 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (codifié à l’article L 2113-12 du Code de la commande publique), l’acheteur peut réserver la distribution de certains des marchés publics « à des entreprises adaptées mentionnés à l’article L 5 213-13 du Code du travail, à des établissements et services d’aide par le travail mentionnés à l’article L 344-2 du Code de l’action sociale et des familles, ainsi qu’à des structures équivalentes, lorsqu’ils emploient une proportion minimale, fixée par voie réglementaire, des travailleurs handicapées qui, en raison de la nature ou de la gravité de leurs déficiences, ne peuvent exercer une activité professionnelle dans des conditions normales ». Plus avant, aux termes de l’article 62 du décret n° 2016-360 ((codifié à l’article R 2152-7 du Code de la commande publique), l’acheteur public peut appliquer un critère technique lié à des considérations sociales, comme les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté : « II – Pour attribuer le marché public aux soumissionnaires ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, l’acheteur se fonde :

1° Soit sur un critère unique qui peut être : a) le prix … ; b) le coût …

2° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés au marché public ou à ses conditions d’exécution au sens de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisé parmi lesquelles figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s’agir, par exemple, des critères suivants :

  1. la qualité, y compris dans leur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l’accessibilité, l’apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, d’insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal …

D'autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché public ou ses conditions d’exécution ».

Dès lors, au regard de ces dispositions, des considérations sociales et environnementales peuvent être prises en compte pour l’attribution ou l’exécution d’un marché public.

Pour le Conseil d’Etat, au visa desdits articles, le critère social doit présenter un lien avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution, l’acheteur ne pouvant tenir compte de la politique générale de l’entreprise en matière sociale et devant s’attacher à juger les pratiques qui s’appliqueront effectivement aux prestations qui vont être exécutées par le prestataire.

Il résulte de ces dispositions que si l’acheteur peut, pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, mettre en œuvre des critères comprenant des aspects sociaux, c’est à la condition, notamment, qu’ils soient liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. A cet égard, des critères à caractère social, relatifs notamment à l’emploi, aux conditions de travail ou à l’insertion professionnelle des personnes en difficulté, peuvent concerner toutes les activités des entreprises soumissionnaires, pour autant qu’elles concourent à la réalisation des prestations prévues par le marché.

Ces dispositions n’ont, en revanche, ni pour objet, ni pour effet de permettre l’utilisation d’un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale, appréciée au regard de l’ensemble de son activité et indistinctement applicables à l’ensemble des marchés de l’acheteur, indépendamment de l’objet ou des conditions d’exécution propres au marché en cause.

En l’espèce, Nantes Métropole a prévu un critère de sélection relatif à la « performance en matière de responsabilité sociale », pondéré à 15% de la note totale, décomposé en cinq sous-critères relatifs à la « protection de l’environnement », aux « aspects sociaux », aux « aspects sociétaux », à la « performance économique durable » ainsi qu’aux « aspects et gouvernances » des entreprises candidates, l’article 2.5 du règlement de la consultation précisant que l’utilisation de ce critère s’inscrit dans le cadre d’une politique dite « achat durable » de l’acheteur qui « implique que l’entreprise doive, tout en assurant sa performance économique, assumer ses responsabilités au regard des objectifs du développement durable c’est-à-dire dans les domaines environnementaux, sociaux et sociétaux ».

Il ressort du « cadre de réponse diagnostic RSE » prévu par le dossier de consultation, que ce critère est évalué sur la base d’une appréciation d’éléments généraux, tels que la « lutte contre les discriminations » et le « respect de l’égalité homme/femme », appréciés au regard du taux d’emploi et de la rémunération des travailleurs handicapés et féminins, la « sécurité et la santé du personnel », évaluées sur la base du nombre d’accidents du travail pendant les trois dernières années et de la durée totale des arrêts de travail sur le dernier exercice, les dépenses de formation du personnel engagées par l’entreprise, « la stabilité des effectifs » et la limitation du recours aux contrats d’intérim, ou encore la formation active des stagiaires et apprentis par des tuteurs certifiés.

Contrairement à ce que soutient Nantes Métropole, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes n’a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que le critère de « performance en matière de responsabilité sociale » ne concerne pas seulement les conditions dans lesquelles les entreprises candidates exécuteraient l’accord-cadre en litige mais porte sur l’ensemble de leur activité et a pour objectif d’évaluer leur politique générale en matière sociale, sans s’attacher aux éléments caractérisant le processus spécifique de réalisation des travaux d’impression prévu par le contrat. Le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en déduisant que ce critère n’a pas un lien suffisant avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.

3.  Appréciation de la régularité du critère social : légalité (C.E., 30 nov. 2018, Ste Philippe Vediaud Publicité, n° 414377). La société Philippe Vediaud Publicité soutient que si le critère de la valeur technique de l’offre a été décomposé en cinq sous-critères, trois de ces sous-critères, respectivement relatifs aux matériaux utilisés dans le cadre d’achats responsables, à la consommation électrique et aux modalités de mise en œuvre de la clause d’insertion sociale, sont sans rapport avec le critère de la valeur technique et doivent être regardés comme étant rattachés soit au critère des performances en matière de protection de l’environnement, soit au critère des performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté. Toutefois, la qualité des matériaux utilisés et la consommation électrique des panneaux d’affichage sont des sous-critères qui ne sont pas sans lien avec la valeur technique de l’offre. Par ailleurs, le critère de la mise en œuvre de la clause d’insertion sociale peut être regardé comme étant en rapport avec les conditions d’exécution du contrat. Le moyen de l’irrégularité de ces sous-critères doit, par suite, être écarté

4. L’accompagnement des acheteurs dans le déploiement des bonnes pratiques en la matière (Rép. min. n° 5677, JO AN 1er mai 2018, p. 3732). Une réponse ministérielle du 1er mai 2018 fait le bilan des actions en faveur de l’accompagnement des acheteurs dans le déploiement des bonnes pratiques en la matière, formulant des recommandations et insistant sur la mise à disposition des données essentielles dans la lisibilité des pratiques

Elle retient que « le développement des clauses sociales dans les marchés publics est un levier essentiel pour l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. Faciliter la mise en œuvre et le suivi des clauses sociales repose sur des outils d’accompagnement, mais aussi sur une organisation structurée prenant en compte le rôle de tous les acteurs, acheteurs, facilitateurs, entreprises, indispensables à la réussite de la clause sociale, comme l’a souligné le rapport de l’inspection générale des affaires sociales publié en mai 2016. Aussi, l’Etat mobilise l’ensemble des acteurs concernés par des actions au plan national et par son soutien à des initiatives locales. Au plan national, le ministère de l’économie et des finances met à disposition sur ses pages trois guides sur les clauses sociales et le handicap dans la commande publique. Le guide général « Commande publique et accès à l’emploi des personnes qui en sont éloignées » fait l’objet d’une mise à jour et devrait être publié prochainement. Il s’appuie sur les travaux pilotés par le ministère du travail. Trous groupes de travail associant les administrations concernées et les représentants du secteur de l’insertion et de l’emploi visent à clarifier les objectifs de la politique des clauses sociales, renforcer son pilotage, optimiser l’ingénierie dédiée, et enfin améliorer la mise à disposition des données et des outils (formation, communication, évaluation). En outre, un guide opérationnel « Réussir un achat responsable », reposant sur une approche chronologique d’un projet d’achat, est en cours d’élaboration. Il est piloté par les services du ministère de l’action et des comptes publics (direction des achats de l’Etat), pour les achats de l’Etat. La transformation numérique de la commande publique permettra également une meilleure circulation des données et une meilleure communication entre acteurs. Les données nationales actuellement disponibles de l’observation économique de la commande publique ne concernent que les clauses d’insertion figurant dans les contrats supérieurs à 90.000 € H.T. Elles n’intègrent ni les critères sociaux utilisés pour le jugement des offres, ni les marchés réservés. L’open data ouvrira à terme des perspectives intéressantes pour élargir le champ de ces données et aider au suivi de l’impact des clauses sociales sur l’emploi. L’action 2 du plan de transformation numérique de la commande numérique prévoit justement de promouvoir par l’exemple et l’expérimentation les bonnes pratiques. Localement, les services de l’Etat, comme les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, apportent leur soutien aux initiatives dans le domaine de la dématérialisation de l’insertion sociale (Hauts-de-France, Ile de France…). Ainsi, l’observatoire des clauses sociales francilien, qui vient d’être mise en place dans le cadre du Grand Paris Emploi, travaille à la connaissance et la diffusion des données sur les clauses sociales et l’accompagnement des acteurs de l’économie sociale et solidaire en lien avec la dématérialisation de la procédure de passation des marchés prévue au 1er octobre 2018. Il est également prévu un accompagnement des acteurs de l’économie sociale et solidaire qui profiteront de la mise à disposition de ces données.

5. Bilan de l’insertion de clauses sociales. En 2018,l’association Alliance Villes Emploi a dressé son cinquième bilan de l’utilisation de la clause sociale pour l’année 2016, à partir d’un panel de 171 structures (PLIE, maison de l’emploi ou personne publique).

Il en résulte que :

  • le volume des heures d’insertion réalisées est en constante augmentation : entre 2015 et 2016, il progresse de près de 15 %, soit 11,5 millions, doublant par rapport au résultat de 2012 ;
  • la même évolution est constatée lorsqu'on envisage le nombre d’acheteurs concernés (2122, composé à 43 % de communes EPCI, syndicats SEM, et 21 % de bailleurs sociaux), soit un total de 29.412 marchés « clausés » (+ 64 % par rapport à 2012), près de 30.000 personnes ayant bénéficié du dispositif, soit le double qu’en 2012.

Philippe BOULISSET Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

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