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  1. Cession d’un actif circulant à prix minoré : est-ce anormal ?

Il est de principe, en droit fiscal, que s’appauvrir volontairement à des fins étrangères à son intérêt constitue un acte anormal de gestion. Le Conseil d’Etat vient cependant de juger que, pour démontrer l’anormalité d’une cession à bas prix d’un élément de l’actif circulant, l’administration doit établir non seulement l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente mais également l’intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt.

La spécificité de l’affaire réside dans la nature du bien cédé à un prix minoré : en l’espèce, l’activité de l’entreprise consistait en l’achat-revente de biens immobiliers, de telle sorte que la cession portait sur un élément de l’actif circulant. La question (inédite) soulevée devant le Conseil d’Etat portait en conséquence sur le point de savoir si la preuve d’un acte anormal de gestion doit également être simplifiée pour les cessions à prix minoré d’éléments de l’actif circulant. Le Conseil d’Etat a refusé de transposer à la cession d’éléments de l’actif circulant le critère simplificateur de l’acte anormal de gestion dégagé en cas de cession d’un élément de l’actif immobilisé (CE 4 juin 2019, n°418357) ; il maintient donc sa jurisprudence selon laquelle il incombe à l’administration d’apporter la preuve :

- d’une part, que l’opération n’a pas été réalisée dans l’intérêt de l’entreprise, c’est-à-dire l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente (critère objectif) ;

- et, d’autre part, que l’auteur de l’acte a intentionnellement agi contre l’intérêt de l’entreprise (critère subjectif).

Dans cette situation, l’administration doit donc démontrer l’intention du cédant de consentir une libéralité au cessionnaire, à la différence des cessions d’éléments de l’actif immobilisé pour lesquelles l’administration a été expressément déchargée de cette preuve par le Conseil d’Etat (CE 6 février 2019 no410248 : BF 5/19 inf. 393).

Le Conseil d’Etat n’a cependant pas statué au fond, et renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Marseille, qui devra apprécier si l’administration apporte, au titre du critère subjectif, des éléments établissant que la société a intentionnellement agi contre son intérêt.

  1. TVA sur marge : une prise de position du Conseil d’Etat

Lorsqu’un professionnel acquiert un terrain à bâtir et revend un terrain à bâtir, la TVA exigible lors de la revente est assise sur le prix total, si l’acquisition initiale avait ouvert droit à déduction, ou sur la marge, dans le cas contraire ; en revanche, si ce professionnel revend sous la forme de terrain à bâtir un immeuble qu’il avait acquis comme immeuble bâti, l’opération sera soumise à la TVA sur le prix total.

Pour déterminer si l’acquisition initiale d’un terrain à bâtir a ouvert droit à déduction, il convient de se référer à la fiscalité de l’acte d’acquisition. L’acquisition est ainsi considérée comme n’ayant pas ouvert droit à déduction (BOI-TVA-IMM-10-20-10 n°20 à 90, 22 janv. 2020) :

- lorsque l’acquisition initiale a été soumise aux droits d’enregistrement ;

- lorsqu’aucun montant de taxe déductible ne figurait dans l’acte d’acquisition (la condition formelle d’ouverture du droit à déduction n’étant pas alors respectée) ;

- lorsque la TVA perçue lors de l’acquisition a fait l’objet d’une autoliquidation par le marchand de biens acquéreur, c’est-à-dire lorsque la vente était consentie moyennant un prix « hors taxes » ;

- l'acquisition réalisée par une personne qui aurait acquis l'immeuble (ou la fraction d'immeuble) pour la réalisation exclusive d'opérations non imposables au sens de l'article 206, II de l'annexe II au CGI.

La restriction de la TVA sur marge : la doctrine 2016. Plusieurs réponses ministérielles sont intervenues pour préciser qu’en cas de division parcellaire intervenue entre l’acquisition initiale et la cession ayant entraîné un changement de qualification ou un changement physique (telle une modification des superficies vendues par rapport à l’acte d’acquisition), la taxation doit se faire sur le prix de vente (Rép. Min. n°91143 à M. Carré : JOAN 30 août 2016, p. 7769 ; Rép. Min. n°96679 à M. Bussereau : JOAN 20 sept. 2016, p. 8522) : cette position emportait pour conséquence d’assujettir systématiquement les reventes de lots réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs à la TVA sur prix, renchérissant ainsi le prix de cession et bouleversant l’économie générale de l’opération, sauf dans l’hypothèse où une division parcellaire a été réalisée avant d’acquisition initiale.

La censure par la jurisprudence. La jurisprudence a pris le contre-pied de l’administration fiscale et infirmé cette doctrine en considérant que l’administration ne saurait exiger l’existence d’une division parcellaire et d’une ventilation du prix d’achat au stade de l’acquisition initiale pour refuser l’application de la TVA sur marge (TA Grenoble, 14 nov. 2016, n°140-3397 : Jcl. Constr-. Urb. mars 2017, p. 28, comm. 45 ; TA Montpellier 4 déc.2017 n°1602770, SARL RGMB : RJF 6/18 n°603 ; TA Bordeaux 14 févr. 2018 n°1601235, SARL J2D : RJF 2/19 n°140. CAA Lyon 20 déc. 2018 : RJ 4/19, n°323 ; CAA Marseille 12 avril 2019 n°18MA00802, SARL RGMB : RJF 1/20 n 14 ; CAA Lyon 25 juin 2019, Sté Le Rochefort, RJF 12/19 n°1133). L’arrêt du 4 décembre 2017 nous indique à ce sujet que « une société ayant acquis un bien immobilier composé d'un local d'habitation et d'un terrain attenant auprès de particuliers n'ayant pas la qualité d'assujettis à la TVA, et n'ayant donc pu déduire la TVA grevant cette acquisition, peut donc, après avoir procédé à une division parcellaire, céder plusieurs terrains à bâtir sous le bénéfice du régime de la marge » ; l’arrêt en date du 14 février 2018 précise que : « il ressort des dispositions de l'article 268 du CGI que l'application de la TVA sur la marge en matière de livraison de terrain à bâtir est conditionnée au seul fait que l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert de droit à déduction de la TVA. Il ne ressort pas de ces dispositions que les terrains revendus comme terrains à bâtir doivent nécessairement avoir été acquis comme terrains n'ayant pas le caractère d'immeubles bâtis ».

Le revirement de l’Administration. L’administration fiscale a infléchi sa doctrine et considéré que la taxation sur la marge devait être conservée lorsque l'opération se traduit par une modification des seules caractéristiques physiques du bien (en pratique, un simple changement entre la superficie achetée et la superficie revendue) (Rép. Min. n°4171 à M. Vogel : JOAN 17 mai 2018).

L’arrêt du Conseil d’Etat du 27 mars 2020. Par un arrêt en date du 27 mars 2020 (CE, 27 mars 2020, n°428234 : Dr. fisc. 2020, n°15-16, act. 133), le Conseil d’Etat a adopté une position qui corrobore celle de l’administration fiscale, telle qu’elle procède de la réponse ministérielle Vogel, la Haute juridiction ayant ainsi considéré que « il résulte des dispositions de l’article 268 du CGI lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur. Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant qu’il résultait des dispositions des articles 268 du code général des impôts et 392 de la directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était subordonné à la seule condition que l’acquisition du bien cédé n’ait pas ouvert droit à déduction de la taxe et en jugeant sans incidence sur sa mise en œuvre la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification du bien en cause aient été modifiées entre son acquisition et sa vente. ». Cette décision est surprenante compte tenu des dispositions de l’article 268 du CGI. Il n’apparaît pas possible de considérer que la controverse soit, à l’heure actuelle, éteinte, tant qu’une décision d’Assemblée plénière du Conseil d’Etat, rendue en-dehors du domaine spécifique aux marchands de biens, n’aura pas pris position sur les modalités générales d’application de la TVA sur marge aux reventes de terrains à bâtir.

Quelle attitude s’offre alors aux praticiens ? Avant le prononcé de l’arrêt du 27 mars 2020, nous considérions qu’il convenait alors de considérer que :

- si la vente porte sur un bien de nature identique à celui qui a été acquis (terrain acquis comme terrain à bâtir, puis revenu comme tel), la revente doit être soumise à la TVA sur la marge ; la circonstance qu’il y ait un simple changement de caractéristiques physiques (superficie revendue inférieure à la superficie acquise) est indifférente, et ne permet pas d’assujettir la revente à la TVA sur prix ;

- si la vente sur un bien de nature différente de celui qui a été acquis (terrain acquis comme immeuble bâti, puis revenu comme terrain à bâtir), la revente doit être soumise à la TVA sur le prix.

Le risque de contestation par les services fiscaux est d’autant plus élevé que le ministère des Finances avait indiqué ne pas avoir l’intention de modifier sa position, pas plus que de réexaminer le régime de la TVA (Rép. Min. n°00904 à Mme Giudicelli : JO Sénat 7 sept. 2017, p. 2809) ; il convient toutefois de tenir compte de l’absence de valeur juridique de la doctrine administrative et de l’impossibilité pour l’administration fiscale de l’invoquer à l’encontre des particuliers.

La publication de l’arrêt du 27 mars 2020 devrait rendre caduque cette position, mais les très fortes réserves qu’appelle cet arrêt nous incitent à ne pas généraliser une solution qui paraît devoir être confirmée.

 

Emmanuel CRUVELIER
Docteur en droit,
Fiscaliste

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